« Le sens esthétique est absent chez eux » Froelich 1949. Voila comment les premiers colons ont qualifié la statuaire du nord du Togo. Cela marque vraiment un manque d’ouverture d’esprit. Ils ne voyaient cette région comme une zone aride avec très peu de végétation et donc pas digne d’intérêt...
Les Lamba / Losso furent révélés vers les années 1890 lors de la colonisation allemande. Ce fut d’ailleurs une phase répression extrêmement violente notamment avec les expéditions dirigées par le Docteur Kersting ou celle de Frobenius (…)
Pour voir ces ethnies dans les collections publiques, il faut surtout se diriger vers l’Allemagne. D'une part vers la fondation Frobenius de Francfort, ils ont tout un fond de dessins décrivant les habitations, les conditions de vie mais très peu de croquis de sculptures. D'autre part vers le Musée d’ethnographie de Berlin, le Museum für Volkerkunde. Ce dernier ne possède pas moins de 40000 objets d’Afrique. A connaître !!
Les Lamba / Losso sont des ethnies qui vivent au nord du Togo. Les Losso (88 000 individus) et les Lamba (61 000 individus) sont avant tout des cultivateurs et des chasseurs. Ils ont pour proche voisin les Kabyé, les Ewé et les Ouatchi.
On suppose que les Losso ont une origine du Burkina Faso à cause de la ressemblance avec la langue Mossi. En regardant les formes des sculptures on pourrait même apparenter la statuaire Lobi voire même Dagari.
Cette population, à la réputation accueillante, ne possède pas de pouvoir centralisé et c’est les chefs de famille qui règlent les affaires entre eux.
Ils produisent également des objets qui sont issu de la culture Vaudou, certainement dû à la présence proche des Ewé. Par exemple ils construisent des poteaux pour chasser les voleurs. Comme dans le vaudou, ils pratiquent les libations à base de sang de chèvre, de mouton ou de poulet. Il s’agit de nourrir les esprits et de les calmer.
Comme dans le pays vaudou, ces objets de culte sont déposés devant les habitations en signe de mise en garde ou signe de protection ou encore dans les greniers et les poulaillers.
Ils fabriquent des poupées faites avec des fémurs de mouton, de porc ou de vache appelée « Di Kori », ce qui veut dire « fils d’os ».
Il est compliqué de faire une description simple des sculptures des Lamba et des Losso car leur lien de parenté est très fort. Comme pour leur voisin Yoruba avec les Ibeji, chaque village sculpte des sculptures très différente ce qui procure une grande variété de style tout à fait passionnant.
Les colons qui sont tombés sur ces sculptures n’y voyaient que des objets mal dégrossis, disproportionnés, de formes simples, brutales. Ils sculptent des personnages souvent représentée avec des petites jambes. La partie la plus grande imposante reste le tronc d’allure cylindrique avec ces bras accolés au corps. On observe une constante sur ces corps : Les nombrils saillants et la présence de scarification. Elles sont gravées sur le bois (à froid ou pyrogravées) et elles sont une piste sérieuse pour l’attribution Lamba ou Losso. Elles sont portées toujours par les togolais. D’ailleurs vers les années 60 l’Etat a tenté d’interdire la pratique de la scarification dans un but de faire changer les mentalités et stopper la monté du « tribalisme ». C’est peine perdu. L’effet de mode est trop fort !! Par gout esthétique les formes se mélangent entre les Lamba, les Losso voire même avec les motifs de leurs voisins !
Ce qui a de plus surprenantes dans ces personnages, ce sont ces têtes en forme de ballon complètement écrasé ou encore ressemblant à une tête de bouchon de champagne avec un cou minuscule ou inexistant. Cela renforce cette allure très massive.
Ces visages sont d’une simplicité extrême, deux trous pour les yeux, un pour le nez et un coup de ciseau pour marquer la bouche. Chez les Lamba il existe une variante avec des yeux formés avec des cauris.
Ces sculptures portent fréquemment avec des bijoux comme des bracelets autour du cou (par exemple utilisés pour la guérison des nourrissons) ou des colliers en fibre naturelle.
La statuaire religieuse de cette région ce cristallise schématiquement en 3 parties : Le culte des Alua, le culte des esprits sauvages (la chasse) et enfin le culte des Jumeaux.
Cultes des Alua
Selon la légende, avant de naitre, les hommes faisaient parti du monde surnaturel des ancêtres, les Alua. Mais un jour l’esprit Alua étranger nommé « Kolner » a fait remarqué qu’on lui consacrait des autels mais pas à eux… Jaloux, ils demandèrent aux hommes de sculpter des effigies pour les habiter. Ces peuples ont donc créé ces statuettes d’une part pour attirer la bénédiction des Alua sur leur foyer et d’autre part pour amadouer les esprits. Ces sculptures demandent des libations de sang régulièrement car ces esprits peuvent se venger...
Cultes des Jumeaux
Cette région du monde, Togo, Benin, ou encore le Nigeria ont une population jumelle énorme sans que l’on sache vraiment pourquoi... Cette concentration de jumeaux a fait naitre tout un ensemble de rites lorsque l’un des jumeaux décède.
Les Lamba / Losso sculptent des « Rimpu » appelé aussi « Duibia », des versions miniatures de sculpture plus grandes. Ceci dit ces statuettes prennent aussi des formes plus abstraites. Des branches d’arbres simplement dégrossies en forme de petits cylindres. Ces poupées sont d’une patine noire obtenue par frottement avec du métal chaud.
De prime à bord, ces statuettes sont faites pour apaiser l’esprit du jumeau décédé et éviter d’appeler le vivant vers la mort pour le rejoindre.
Dans les faits ces objets permettent aux mères de substitut affectif dont elle accorde autant d’attention que pour un vivant : l’habille, la nourris et fait même semblant de l’haleter…
Plus tard ca sera au tour du jumeau vivant d’en prendre soin pour garder le lien avec son double mort. Ainsi il n’est pas oublié et continue de recevoir de l’attention sinon ils peuvent se venger...
Durant l’enfance, pour empêcher le défunt de faire venir son jumeau vivant dans la mort, un rite consiste à camoufler l’enfant, le rendre invisible pour les esprits : Raser le crane en laissant qu’une petite touffe, mettre des pendants avec des cauris sur les oreilles et de confectionner une ceinture de cauris.
Les Autels Souna
Les Lamba comme les Losso ont une vénération pour les animaux « sauvages » dans le sens qu’ils sont difficiles à capturer comme l’antilope, le buffle ou l’éléphant. La chasse de ce genre d’animaux octroie aux chasseurs un grand prestige et lui donne l’opportunité de construire un autel de chasse, un Souna.
Ces animaux, selon leurs croyances, sont les réincarnations des esprits mauvais qui n’ont pas eut le droit d’aller vers l’au-delà. Ce qui explique toutes les précautions prises lors de la chasse. Lorsqu’un chasseur tue l’un de ces animaux, il ne doit pas connaître les circonstances de sa mort ni même savoir quel chasseur l’a tué.
Un petit rituel vise à empêcher à l’esprit de reprendre sa forme humaine et de poursuivre le chasseur pour l’assassiner. Cette légende explique la présence des sculptures aux formes humaines dans les autels Souna.
Une fois la bête à terre, le chasseur coupe la queue de la bête, se déshabille, se désarme et cherche dans le sol autour de la carcasse des racines médicinales suivant les 4 coins cardinaux. Sinon la viande ne pourra pas être consommée…
Le chasseur rentre en laissant sa proie dans la brousse. Il est tout nu pour cacher à tout le monde qu’il est un chasseur.
Une fois au village, le chasseur rassemble son clan pour retourner chercher l’animal. Ils forment le cercle autour de la dépouille et se joue une petite scène visant à semer le doute dans l’esprit qui vit dans cet animal. Ils discutent les raisons qui ont pu causer la mort de la bête. Cette manœuvre est faite encore une fois pour masquer l’identité du chasseur.
Dans le même objectif que la viande est repartie en part égale. Bien que ce soit le chasseur qui ait abattu l’animal. Il ne recevra pas de part plus importante car son identité serait révélée…
En dehors du prestige, le chasseur va pouvoir mettre la tête, corne ou ossement sur l’autel personnel. Ils s’agissent des Souna Kplass. Si une personne lui vole sa bête et donc son trophée, ce voleur tombera malade jusqu’à ce qu’il rende le trophée à son véritable propriétaire…
La Souna est un autel dédié aux esprits sauvages de la brousse qui se construit soit dans un sanctuaire soit dans une pièce particulière de la maison. Le chasseur y place donc des offrandes en fonctions de ces chasses. Plus il y a de Trophées de chasse, plus le chasseur sera puissant et important au sein de la communauté.
Quand ces trophées pourrissent ils sont remplacés par des sculptures en bois. Elles deviennent actives selon un petit rituel qui consiste à les placer dans un grand pot en terre cuite qui compose la Souna. Cette même terre cuite, une énorme boule avec des pointes, reçoit tout au long de la l’année des libations de sang issues des animaux de la chasse.
A coté de cette terre cuite rituelle, un petit pot avec des offrandes de nourriture : arachide, noix, riz etc. Cette offrande va nourrir l’esprit qui pourra dire dans toute la brousse que ce foyer est accueillant et qu’il faut protéger ce foyer…
A l’heure actuelle, les cultes chez les Lamba et les Losso sont tombés en désuétude et les sculptures se retrouvent sur les étales des marchés de Lomé... A cela il faut ajouter la progression du Christianisme et dans une moindre proportion avec l’Islam.
A suivre…